The shepherd’s life [La vie d’un berger] par James Rebanks

Cet article est également disponible en: Anglais

Comme des brebis, nous nous sommes égarés

The shepherd's life by James Rebanks

The shepherd’s life by James Rebanks

Quand Haendel écrivit ces mots tirés de la Bible pour son époustouflant Messie en 1740 ils auraient eu une résonance émotionnelle même avec le public cultivé auquel son oratorio était destiné. Au 18ème, les villes étaient petites et la réfrigération inexistante ; on menait les troupeaux à travers les rues avant l’abattage. Environ 80% de la population vivait directement de la terre. Un compositeur du 21ème siècle devait écrire « le GPS m’a envoyé dans une carrière » pour avoir la même résonance avec ses auditeurs. La plupart d’entre nous ne voit des béliers que sur une vidéo de Shaun le mouton. Mais pour James Rebanks ces mots tiennent la même valeur qu’ils avaient pour ses ancêtres au 18ème. Le fil de laine n’a jamais été coupé.

Ainsi l’excellent Shepherd’s Life (Allen Lane, avril 2015) nous rappelle que la ruralité vue des villes est loin de celle vécue par les familles attachées à une montagne depuis des générations et qui mettent leurs mains dans le fumier quotidiennement.

Un nouveau mot : « hefted »

Le livre m’a appris un mot régional du Lake District (au nord-ouest d’Angleterre) : « hefted », dont il n’y a pas de véritable traduction française. « Enraciné » ne fait pas l’affaire. Quand Rebanks dit que ses brebis sont hefted à la montagne, il veut dire non seulement qu’elles y habitent de mère en fille depuis des générations, mais aussi qu’elles ont tondu la montagne, elles l’ont sculptée avec leurs dents. En contrepartie la montagne, de par ses exigences climatiques, les a tondues à sa façon, mangeant les moins adaptés avec ses hivers rudes.

Dans l’Occident, où la mobilité est considéré essentielle pour l’épanouissement personnel et professionnel, on peut prendre Rebanks pour excentrique, incapable de faire face aux défis du 21ème siècle ou bien réfractaire. Du moins cela était l’avis de ces professeurs. Le poète romantique Wordsworth et le randonneur Wainwright, des références quintessentielle pour les visiteurs modernes, n’étaient pas inscrit dans son ADN.

Pour moi, les pages les plus puissantes se trouvent au tout début. Il survole son adolescence et met en exergue l’incompréhension sidérante de ses profs quand il leur annonçait son destin – manque d’ambition ils disaient – de mettre ses pieds dans les bottes de caoutchouc de son père. Il quitta le collège dès qu’il pût.

Le livre est aussi un antidote fort au propos de George Monbiot étalés dans Feral : Rewilding the land, sea and human life [Devenu sauvage : le réensauvagement de la terre, de la mer et de la vie]. Tandis que Monbiot fustige les brebis dans le centre du Pays de Galles où, selon lui, elles ont créé un « désert » avec une biodiversité appauvrie, Rebanks les adore, tout comme son père et son grand-père. Ce sont ces derniers et leurs confrères qui ont créé le Lake District que nous aimons tant.

Dans son livre, Rebanks raconte le quotidien d’un éleveur à travers les quatre saisons en parallèle avec son histoire personnelle. Grâce au travail patient de ses ancêtres conjugué avec son esprit fougueux il a su bâtir une entreprise qui peut vendre un seul bélier de la race Hardwick pour £5000 (6900 euros). Cela ferait déjà bien de la matière pour un livre remarquable mais il y en a plus. Au beau milieu du livre il nous dévoile une autre clé à sa personnalité.

[Le lecteur qui préfère garder la surprise doit s’arrêter ici !]

 

brebis Herdwick par hollidaypics (Creative Commons)

brebis Herdwick, par hollidaypics (Creative Commons)

 

Malgré son rejet du système éducatif britannique, Rebanks travaille maintenant en tant que consultant pour l’UNESCO : il voyage dans le monde entier pour parler du développement durable et l’impact de tourisme. Il a 70.000 abonnés sur Twitter. Il porte son smartphone partout. Être dans sa bergerie entouré de brebis bêlantes, explique-t-il, ne l’empêche pas de décrocher pour parler avec un cadre de l’UNESCO à New York. C’est clair, il n’est pas réfractaire à l’informatique ; il a su construire une vie moderne sans pour autant se déraciner. Mais seulement après un séjour hors du cercle familial.

C’était la situation classique : le fils, en profond désaccord avec son père sur la gestion de l’entreprise familiale, fuit. Dans son cas, la destination était l’université d’Oxford et bien qu’il soit revenu à la ferme et se soit réconcilié avec son père, aujourd’hui il gagne son pain d’un faisceau d’activités.

Et c’est là, le hic. Ce sont ces revenus secondaires indispensables qui soutiennent les élevages dans le Lake District tout comme dans les Pyrénées : tourisme, artisanat, salaire de compagne…

 

brebis tarasconnaise

brebis tarasconnaise, typique des Pyrénées ariègeoises

 

La tonte coûte plus que la valeur de la laine tondue. Les agneaux valent beaucoup moins, une fois l’inflation prise en compte, que quand Rebanks est né. La seule chose qui marche bien c’est l’élevage d’Herdwicks pédigrées. Mais il est content de ce que la vie lui a octroyé. Il possède quelque chose que la plupart d’entre nous a perdu aux sbires de la modernisation : un sens d’identité défini par la montagne près de laquelle il est né et où il va finir ses jours. Il est « hefted ».

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