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Est-ce que vous préférez aller directement au but ou tourner en rond ? Quoique la première option ait ses avantages, tourner en rond peut aussi avoir des atouts.
Jusqu’à récemment, la plupart des sentiers de Grande Randonnée dans les Pyrénées encourageait nous les marcheurs à aller directement au but, la Méditerranée. En tout cas, cela est le but de la Traversée des Pyrénées (GR10), la Senda Pirenaica (GR11 espagnol) et la Haute Randonnée Pyrénéenne qui existent depuis plus de trente ans déjà. On peut y rajouter le Sentier Cathare, le Chemin des Bonshommes (GR107) entre autres nés récemment. Tous allant de A à B.
Mais si vous vouliez tourner en rond, ou plutôt faire une boucle pour finir à votre point de départ il fallait se débrouiller seul. Ces dernières années cela a commencé à changer. Il faut signaler le topo-guide de la FFRP de boucles qui traversent la frontière entre l’Ariège et la Catalogne. Mais peut-être les initiatives les plus intéressantes sont celles de nos voisins d’outre-Pyrénées.
- La Porte du Ciel (Porta des Cel)
- Les Montagnes de la Liberté. Celle-là, je l’ai fait en 2015
- Le Sentier de Camille (La Senda de Camille)
Ces randonnées de montagne sont toutes des boucles avec nuitées en refuge gardé. En plus, le central de réservations organise tout. Il y a des cartes 1:25.000 et un teeshirt souvenir.
Je reviens du Sentier de Camille que j’ai fait avec deux copines du Club Rando-Montagne de la MJC de Lézignan-Corbières. On s’est bien amusés.
Le Sentier de Camille : six jours entre pâturages bucoliques et crapahutage sur montagne minérale
Le Sentier de Camille me semble peu connu hors Espagne. A part nous, il y avait seulement un autre groupe français. (Par ailleurs le Sentier de Camille peut servir pour faire la liaison entre le GR10, le GR11 espagnol et la HRP.)
Lescun à Linza
On peut démarrer de n’importe quel des six refuges, mais nous avons choisi Lescun (Pyrénées-Atlantiques). Le départ était sous un soleil radieux, quoique la rosée traîne sur l’herbe. A la cabane d’Ansabère nous avons pu acheter du fromage directement du berger.
Le Port d’Anso a est le point culminant de la journée (2084m) ; il marque aussi la frontière avec l’Espagne. A 15:30 nous avons poussé la porte du refuge de Linza. On nous a demandé si nous voulions manger ! Nous avons préféré une chope de bière.
Linza à la Borda Bisaltico
Ce fut la journée la plus longue de la boucle, 8h30 sans compter les pauses. Les personnes les plus vaillants poussent une heure et demi encore plus loin jusqu’au refuge de Gabardito, mais nous avons voulu limiter les dégâts.
Au début, au lieu de marcher sur une route (comme préconise le guide) nous avons emprunté un GRT sur l’autre rive de la rivière.
Voilà un paysage grandiose, surdimensionné, celui après Zuriza, là où le Sentier de Camille se mêle avec le GR11. Bientôt il va se faufiler entre les dents blanches de la Faja (à gauche sur la photo). Ici c’ést le seul endroit où nous avons vu des isards. (C’était la seule déception : nous n’avons pas vu beaucoup de faune sauvage. Terriers de marmottes, il y en avait, mais mise à part quelques sifflements on ne les a pas rencontrées. Quelques vautours, quelques aigles, oui. Peut-être fin juin ou septembre, quand il y a moins de chalandage, aurait été plus propice.)
En fin de journée nous mourions de soif ; descendre en forêt était une aubaine. Au Pont de Santa Ana nous avons retrouvé de l’eau, mais elle restait inaccessible dans la gorge.

Gauche : dans la forêt de la Solana de Linito. Droite : rivière Aragón Subordán vue depuis le Pont de Santa Ana
Borda Bisaltico à Lizara
Nous avons fait une pause-café au refuge de Gabardito à la lisière de la forêt avant de pousser vers les hauteurs.
Les nuages qui s’amoncelaient ici allaient devenir l’orage qui nous a réveillé à minuit et demi.
Lizara à Somport
La Caseta des los Forestales était une surprise à deux titres. Il se dessinait sur l’horizon tel une mosquée. Et puis, à l’intérieur des tas de sacs de couchage, certains hébergeant des randonneurs encore apeurés par le violent orage qui les a chassés de leurs tentes.

La Plana Mistresa, juste au-dessus de la Caseta des los Forestales devrait être un lieu idoine pour bivouaquer… quand il fait beau
Les nuages descendaient et remontaient tout la matinée, comme un rideau au théâtre tout a tour révélant puis cachant le lac.
Somport à Arlet
La météo incertaine nous a incité à marcher plus vite que d’habitude, démarche qui s’avérait finalement inutile. Mais cela nous a donné le temps de monter jusqu’au Col d’Arlet en début de soirée. Et de se baigner dans le lac quasi-tiède !
Ici le repas était soigné, avec des ingrédients frais – carottes râpées, betteraves, salade, concombre – malgré l’éloignement des routes. Et la vue était spectaculaire. En fin de soirée les nuages débarquaient de la vallée.
Arlet à Lescun
Pendant la nuit la pluie est arrivée et l’on s’est réveillé dans une ouate grise. La pluie continuait, drue toute la matinée. Le vent soufflait fort. Aussi, le temps d’arriver au Col de Pau nous étions frigorifiés, les mains engourdies, un picotement aux oreilles. Enfin la pluie s’estompait et nous avons mangé notre piquenique. Nous avons franchi les portes du camping Lauzart à Lescun après seulement quatre heures et demi de marche au lieu des plus que sept heures prévues.
La guerre des mondes
La Senda de Camille n’est pas qu’une itinérance, elle est aussi symbolique de par son nom. Elle revendique la présence des ours dans les Pyrénées en tant qu’outil de marketing. Mais il y a plus qu’un avis sur la matière.
En fait, le héros éponyme, Camille était le dernier ours pur cru des Pyrénées. Il a disparu vers 2010. Or, depuis 1996 des initiatives de réensauvagement avaient réintroduit neuf ours slovènes. C’est-à-dire que la population ursine a rebondi d’un chiffre historiquement bas de cinq exemplaires en 1996 jusqu’aux quarante d’aujourd’hui.
Selon les écologistes, l’ours est une espèce parapluie. C’est-à-dire que, au-delà de son propre intérêt, sa présence est un garant de la qualité de l’environnement et de la survie d’autres espèces plus bas dans la chaîne alimentaire. Il peut aussi être un attrait touristique. En tout cas, l’ours fait indiscutablement partie du patrimoine pyrénéen, comme en témoignent les festivals du Vallespir.
Par contre, selon certain bergers, la cohabitation de l’ours et le pastoralisme n’est pas possible. Le patou, célèbre chien de protection, est inefficace pour un troupeau de mille bêtes dispersé en ‘escabots’ de 20-30 là où le terrain ne permet pas le regroupement. Ce que nous avons c’est un zoo, une idée intellectuelle citadine que perd sa légitimité face à la réalité du terrain. Ces jours-ci 209 brebis apeurées par un ours sont mortes après avoir chuté d’une falaise dans leur fuite [article d’El Mundo en espagnol] Le maire d’Ustou (Ariège) a signé un arrêté symbolique interdisant la présence de l’ours sur la commune pour attirer l’attention sur la situation dans le Couserans.
Après plusieurs années d’une paix relative ce ‘décrochage’, comme on dit dans le coin, a soufflé sur les braises attisant la flamme de la guerre des mondes, décrite par certains comme un conflit entre citadins et paysans avec leurs valeurs différents.
Or la question est beaucoup plus complexe, voir quelques articles sur l’ours dans les Pyrénées.
Le Sentier de Camille : un petit guide
La saison s’étend de juin à septembre. Il serait éventuellement possible d’entreprendre cette boucle un peu en avant voire un peu plus tard mais la neige pourrait pointer le bout de son nez par endroits. Il faut aussi prendre en compte la fermeture du refuge d’Arlet entre début octobre et fin mai, même si le refuge d’hiver reste ouvert toute l’année.
L’organisation m’a envoyé des traces GPS avant notre départ ; le fichier contient non seulement des traces mais aussi la position des cabanes libres et autre points d’intérêt. La plupart des randonneurs fait le circuit dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.
Accès : On peut démarrer de n’importe quel des six refuges. Tous, à l’exception d’Arlet, sont accessibles en voiture de tourisme. Le refuge de Somport est aussi accessible par transport public depuis la France et l’Espagne. Si vous voulez démarrer à Lescun, demandez au conducteur de bus de vous déposer au Pont de Lescun qui se trouve à une heure de marche du camping/refuge de Lauzart à Lescun.
On peut trouver du ravitaillement au refuge Aysa à Somport et au camping/refuge Lauzart à Lescun ainsi que dans le village.
En guise de cadeau de bienvenu vous aurez :
- une excellente carte 25,000 avec la Senda et ses variantes surlignées.
- un guide en français et en espagnol avec force détails de toutes les routes.
- un porte-carte, qui accessoirement aidera à vous identifier auprès d’autres randonneurs.
- un drap de couchage (sac à viande) de bonne qualité. Sa couleur bleue et le logo vous permettront de repérer vos collègues dans le dortoir. Il est plus volumineux et plus lourd que ma version en soie mais très confortable.
- un credencial à être tamponné dans chaque refuge
À la fin les survivants recevront un teeshirt.
Les heures de marche données sur le site web officiel du Sentier de Camille sont correctes pour des montagnards expérimentés. En ce que concerne la sécurité, avec 20 à 25 compagnons de route, il y aura toujours quelqu’un qui arrive s’il vous arrive un pépin. En Espagne le sentier est bien balisé en jaune et vert mais en France c’est plus difficile de vérifier si vous êtes dans le bon chemin, surtout aux carrefours qui présentent de multiples possibilités.
Coût. Pour 42€ par jour vous aurez le gîte et les trois repas assurés. Difficile d’imaginer des vacances de randonnée dans les Pyrénées avec un meilleur rapport qualité/prix. Mais si vous êtes vraiment fauché vous pouvez dormir dans une des multiples cabanes libres qui jalonnent la Senda de Camille entre les refuges gardés. Soyez prévenus, ces cabanes sont primitives, littéralement quatre murs, un toit et un plancher en béton.

Footprints on the mountains