Cet article est également disponible en: Anglais
Vingt ans depuis la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées, et la question n’est pas encore tranchée. Certains éleveurs et l’Etat affirment qu’avec un patou (chien de protection), un berger en permanence sur l’estive (pâturage d’été en montagne), et le regroupement nocturne, les dégâts sont minime, surtout en comparaison avec la mortalité naturelle.
D’autres éleveurs, notamment dans le Couserans (haute-Ariège), affirment que la cohabitation n’est pas compatible avec la conduite en « escabot », brebis dispersées dans une montagne escarpée et rocheuse. Pour certains d’entre eux qui ont suivi les recommandations de l’Etat, les mesures de protection se sont avérées inefficaces.
Actuellement, que vous ayez mis en place les mesures de protection ou non, vous allez recevoir une indemnisation pour chaque attaque si la responsabilité de l’ours ne peut pas être écartée. La rumeur court que dans l’avenir, l’Etat n’indemnisera que les brebis protégées, position logique si les mesures ont fait leurs preuves.
Mais si les mesures de protection ne valent rien ? La grogne monte dans la haute-Ariège. L’Etat va envoyer une commission d’enquête sur la question.
Je voudrais en savoir plus sur ce dossier épineux. Cet article se consacre a quelqu’un qui, forte de son expérience de bergère-éleveuse dans, justement, la haute-Ariège, pense que les mesures sont utiles. Dans un future article je vais relayer les contre-arguments.
La Bergère et l’Ours
Sur la couverture du livre on voit une jeune maman comblée, avec sa houlette de berger dans une main, berçant un bébé et un nounours dans l’autre. Derrière elle, un vrai ours lui dérobe une brebis sous l’œil agacé d’un patou. Est-ce le patou va rattraper l’ours ? C’est pas dit.
Effectivement, on ne sait pas la fin de cette histoire de triangle amoureux entre l’ours, la brebis et le patou. Mais Catherine Brunet a écrit la version où le patou et la brebis passeront leurs vieux jours ensemble.
***
Militante pour la cohabitation entre l’ours et le pastoralisme, elle a subi les attaques verbales répétées et des dégradations sur sa voiture. La route qui mène a son exploitation a été taguée. Maintenant à la retraite, elle vient de rééditer son livre, initialement publié en 2015 pour en témoigner.
Je l’ai croisée aux États-Généraux du pastoralisme, ou elle était huée par l’assistance à tel point que le Président de l’Ariège devait demander le respect de la parole. Elle insistait que les mesures de protection recommandées contre l’ours ont marché sur son exploitation. J’ai entendu certains qui ont dit à haute voix : « elle ne peut pas une bergère » et « s’il n’y avait pas de dégâts c’est parce qu’il n’y avait pas d’ours ». J’ai voulu lire sa version des faits.
Une bergère-éleveuse pendant trente ans
Si je tiens à détailler son parcours, c’est parce que sa prise de position en tant que bergère-éleveuse pro-ours dérange.
Née dans une ferme tenu par sa famille, elle est devenu bergère toute jeune en aidant un éleveur pendant l’agnelage. Puis elle intègre l’école de bergers-éleveurs de Salon de Provence où elle rencontre son futur mari Arsène. Première transhumance sur le plateau du Vercors ; un troupeau de 1700 têtes.
Son premier bébé est né en mars 1982 et fait sa première montagne à l’âge de quatre mois à Villar d’Arène dans les Hautes-Alpes. Elle y est pour accompagner Arsène. Ils vivent à 2078m d’altitude les quatre mois de l’été. L’année suivante ils atterrissent dans l’Ariège et s’endettent pour acheter leur premier troupeau près de Mirepoix en basse-Ariège. Ils n’ont pas de terres, donc ils deviennent herbassiers avec des brebis de la race Montagne Noire.
- 1989. Ils ont maintenant de la terre mais pas assez et le coût du foin les amène à changer de stratégie. Ils vendent les Montagnes Noires pour acheter des Tarasconnaises pouvant transhumer.
- 1991. Arsène trouve une montagne pour l’estive à Mantet (Pyrénées-Orientales) et elle le rejoint pour les vacances scolaires, maintenant avec trois enfants. Ils ont trois tentes. « Nous tendons une bâche entre quatre arbres pour nous servir de cuisine, pièce de jeux pour les enfants en cas de pluie. Une grande pierre plate nous sert de table, et quelques grosses pierres de sièges. »
- 1993. Première estive à Siguer (haute-Ariège), estive qu’ils fréquente jusqu’à 2012. Elle prend alors la retraite de son exploitation après trente ans dans le métier à côté de son mari, dont vingt dans la haute-Ariège.
C’est évident que l’élevage pour elle et son mari n’était pas une lubie accessoire mais un vrai travail pour gagner leur vie.
L’ours à la porte de la bergerie
Alors comment expliquer sa position divergente ? Voilà la raison, susurrent certains : elle devait être pour l’ours parce que l’ours n’a jamais frappé à sa porte !
Alors, qu’est-ce qu’elle raconte ? Bien sûr, il y avait (au moins) un ours sur la commune de Siguer. Et pas le plus timide : Boutxy. Né en 1997, il est connu pour avoir prélevé pas mal de brebis dans l’est Ariège et dans les Pyrénées-Orientales, département voisin. La dernière fois que l’on le repérait, c’était sur sa commune, Siguer. Il était présent dans le secteur depuis l’an 2000. La rumeur affirme qu’il a été braconné en 2009.
Pour preuve de sa présence, Mme Brunet publie une photo d’empreint d’ours, prise le 2 mai 2009 et confirmé en tant que tel par un technicien de l’Equipe Ours. Elle reprend aussi le témoignage d’un pêcheur, sur l’estive aux Étangs de Lassiès (2400m) le 20 juillet 2005.
« Quand j’ai entendu les chiens aboyer, je me suis retourné… j’ai vu une masse sombre avec des couleurs claires à l’encolure. J’ai vite compris que c’était l’ours. Il était à environ 250m. Il marchait au pas (vraiment tranquille). Cela m’a surpris. Je n’imaginais pas que l’ours pouvait venir si haut dans cette zone non-boisée.
Je pensais que j’allais assister à un dégât sur les brebis, car il allait vers elles.
A l’arrivée de l’ours, les chiens ont fait face en aboyant de façon menaçante. Un des trois patous est resté plus en retrait dans le troupeau et les brebis se sont décalées.
Ensuite l’ours s’est dirigé sur un monticule puis il a lancé une charge et poursuivi un patou, les deux autres sont arrivés à la rescousse. L’ours a reculé puis lancé une nouvelle et ultime charge avant de s’en aller au pas et de disparaitre.
Ce qui m’a étonné c’est que le tout le temps de cette confrontation, le troupeau est resté calme. »
Catherine Brunet ne prétend pas que la présence d’un patou, un berger en permanence sur l’estive, et un regroupement nocturne vont prévenir tout dégât. Elle a même eu une brebis qui est revenue à la bergerie avec son pis mangé. Mais aucune brebis prédaté en bergerie ou en parc de nuit.
Alors, selon elle les mesures de protection marchent ; la cohabitation de l’ours et la brebis est possible.
[Malgré ce que l’on peut penser vu la présentation du sujet dans les médias, le but principal d’avoir un berger 24/24h sur l’estive n’est pas de protéger le troupeau des attaques éventuelles d’ours. Le berger permanent a le temps de choisir les pâturages pour éviter le surpâturage et surtout le temps de s’assurer que le bêtes malades ou accidentées reçoivent les soins au plus vite.]
***
Bien entendu son livre ne se limite pas à ces deux sujets. Elle explique pourquoi l’ours devrait faire partie de la biodiversité pyrénéenne. Et elle étale sa version des confrontations pro- et anti-ours et même les divergences dans son propre camp.
Elle cite souvent ses écrits du passé, qu’elle garde systématiquement. J’ai l’impression que l’écriture pour elle est quelque chose de viscérale. L’acte de mettre ses pensées sur papier l’aide à digérer tout qui s’est passé ces vingt dernières années.
Elle réclame une nouvelle vision de l’agriculture en montagne :
« Pensez-vous qu’un jeune qui s’installe en montagne sans intégrer le respect de son environnement (patrimoine foncier, culturel, faune et flore sauvage) peut prétendre à un label de qualité au 21ème siècle ? Je ne crois pas que ‘vivre en montagne’ peut être à lui seul un label. Je pense que les consommateurs ne sont pas dupes et que l’agriculture a assez souffert. »
Voir aussi : Une ancienne éleveuse défend les ours
Et le débat autour de la question de l’ours et le pastoralisme sur France 5
****
Et ailleurs? Dans les Abruzzes (Italie) la cohabitation semble passer bien.
A la différence que là les ours et loups ont toujours été présents, la proportion de patous par brebis est beaucoup plus élevée, et le paysage est moins accidenté.
En Catalogne aussi l’ours semble devenir globalement moins problématique. Comme en France, les dommages occasionnés par la faune sauvage (ours, vautour et autres espèces protégées) sont indemnisés. En 2009 les indemnisations totalisaient 97000€ pour 123 attaques ; en 2015, dernière année pour laquelle les statistiques sont disponibles, elles n’arrivaient qu’à 2700€ pour 18 attaques.
This entry was posted on jeudi, décembre 28th, 2017 at 12:26 and is filed under Non classé. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a comment below, or trackback from your own site.
[…] « Peut-on protéger ses brebis de l’ours pyrénéen ? Oui, dit Catherine Brunet […]
[…] qui voient l’ours d’un autre œil ne se montrent pas trop. Par contre, une qui s’affiche est Catherine Brunet, maintenant à la retraite. Elle est convaincue que les mesures de protection financés par […]
[…] bergers disent que leurs confrères pourraient faire plus pour protéger leurs ouailles. D’autres, comme […]