D’Hendaye à Gabas sur le GR10
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[extrait du livre Les Pyrénées tout en marchant sur le GR10]
Toute la nuit il est tombé des cordes. Quand j’ouvre la porte et me décide à sortir, je constate que le temps est toujours à la bruine.
Gainekoborda, près d’Ainhoa
Bien plus au loin, à travers l’atmosphère cotonneuse, j’entends le ronronnement de moteurs, et le crissement du gravier qu’on entrechoque, comme s’il était déplacé par des pneus en caoutchouc. Le bruit semble se rapprocher, me passer devant puis s’arrêter brutalement.

Les cisailles (en bas, à gauche) ont atteint la perfection technique il y a plus de 2000 ans, et elles n’ont pas évolué depuis.
Le chemin de terre descend. Je peux sentir les vapeurs de diesel puis, surgissant du brouillard, je découvre une collection de 4×4, garés en plein dans le passage. A moitié caché derrière eux, un homme crie quelque chose en Basque, incompréhensible quoiqu’inquiétant tout de même. On lui répond par des murmures puis c’est le silence absolu. Un bruissement, un couinement métallique, et enfin le bêlement plaintif d’un mouton, repris en chœur par d’innombrables autres voix ovines. Je suis salué par l’odeur de lanoline qui provient de la toison humide, et le relent nauséabond de fumier de mouton piétiné.
J’avance jusqu’à la clôture et je lance un « bonjour » hésitant. Le chef répond, également en français. Il y a 200 moutons, me dit-il, et il faudra la journée aux sept hommes pour en venir à bout. Derrière lui l’homme commence à couper, une main tenant le mouton par l’oreille, l’autre main brandissant les cisailles, mordant dans la toison. Ils viennent de terminer le premier mouton. Dès que ses pattes sont libérées il glisse hors de la table et on lui indique l’enclos vide. Il secoue ses épaules, remue la queue et s’éloigne en bondissant comme un agneau.

Un cayolar isolé. On y vend du fromage de brebis
Le chef me tend ses cisailles pour que j’y jette un œil : une bande de fer en forme de U munie de deux lames au bout se faisant face. Appuyez sur le U et les lames se croisent et coupent. Elles ont atteint la perfection technique durant l’âge de fer, il y a plus de 2000 ans, lorsque la langue Basque était encore jeune, et elles n’ont pas évolué depuis.
« Nous les traitons aussi contre les maladies et les tiques, » me dit le contremaître, me montrant des derrières fraîchement exposés où les festoient. Il jette une grosse cuillerée d’un goudron noir, collant et nocif sur eux, puis l’étale.

Brebis basco-béarnaises
« C’est maintenant et en juillet que les tiques commencent à attaquer, alors on doit les traiter avant que ça ne devienne grave. »
Si pour les moutons déjà les tiques sont nuisibles, pour l’homme ça peut être encore pire. En 1989, mon ami Gaby a eu une mauvaise grippe. Sa température est montée et il a commencé à avoir mal partout.
« Un jour j’ai remarqué que je n’avais plus de sensation dans mon pied gauche. On aurait dit un morceau de plomb qui pendait au bout de ma jambe. Je suis allé chez le généraliste et il m’a demandé si j’avais été mordu, si j’avais remarqué la moindre plaie. »
Gaby était allé marcher. Il s’est souvenu d’une morsure et de la rougeur qui s’en suivit.
« L’ambulance est venue me chercher aussitôt. Le docteur de l’hôpital a pris quelques échantillons de sang et est revenu deux-trois heures après. Je lui ai demandé « C’est grave ? » et il a répondu « On va essayer de vous sauver ». J’ai demandé « Quelles son mes chances ? » « Au-dessus de 50% » m’a-t-il répondu. » …
Footprints on the mountains