Aneto

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Sur le Pas de Mahomet

Sur le Pas de Mahomet

Tout le monde le sait, marcher c’est tomber… mais de façon contrôlée. En apprenant à marcher on apprend à maitriser sa peur de tomber. On a vite oublié les bosses sur la tête et les ecchymoses sur les jambes, mais quelque part dans l’inconscient, cette peur instinctive plane toujours. Je viens de la redécouvrir.

Le vertige

C’est comme si j’étais dans un sèche-linge, mais ce n’est pas moi qui tourne. C’est le monde extérieur qui échappe à tout contrôle. Zut, c’est ça le vertige ?

Je pensais savoir quelque chose sur le vertige. Avoir peur de tomber, c’est logique, raisonnable même. On est au bord d’un précipice. Bien sûr qu’on a peur ! Bien sûr qu’on a la tête qui tournoie ! Mais j’avais tort. Ça, la peur de tomber d’une falaise, c’est une phobie ; ce n’est pas le vertige.

Mais aujourd’hui j’ai le vertige véritable. Horrible. Je suis prêt à vomir. Je ne peux pas bouger. Puis le réveil sonne et je me rends compte que c’était un rêve. Je tourne ma tête pour regarder l’heure, et tout recommence. C’était bien un rêve, mais le rêve est devenu réalité. Hors de question de sortir du lit.

Plus tard, mon médecin me dit que j’ai tous les symptômes de la maladie de Ménière, des cristaux dans mon oreille interne. Il me donne quelques comprimés et me conseille d’utiliser mes yeux pour corriger mon déséquilibre. « Il vous faut réapprendre à marcher, » m’explique-t-il. Une voisine me dit que son mari avait le même problème de temps en temps pendant vingt ans, jusqu’au moment où il est tombé du toit.

Avec toute cette histoire, ça va être comment, l’Aneto ? Une crête en lame de rasoir protège le sommet : Le Pas de Mahomet. Avant, pour dompter ma peur, j’arrivais à me convaincre que mes chaussures étaient collées au sol par d’immenses forces de gravité. Plus maintenant.

La sortie à l’Aneto avec mon club est programmée pour l’été. C’est moi qui l’organise et je ne peux pas décemment désister. En tout cas, une semaine plus tard j’ai l’impression d’être guéri.

Faisons un saut dans le temps

[vidéo d’alpinistes espagnols sur le Pas de Mahomet]

Après un jour et demi de marche assortie de 2500m de dénivelé, on arrive finalement au Pas de Mahomet. Nous desserrons nos crampons et regardons la crête. Je suis déjà venu et j’ai une petite idée de ce qui nous attend, mais tout de même la crête me semble plutôt raide et sérieusement aiguisé.

« Je vais vous prendre par deux, » dit le guide. Je suis encordé avec le plus nerveux de notre équipe, celui le plus apte à faire un faux pas et nous projeter dans le vide. Paradoxalement, c’est la meilleure chose qui puisse m’arriver : en regardant sa démarche maladroite j’ai plus de confiance dans ma propre compétence.

Nous contournons une pyramide. Mes doigts sont en train de picoter. Je m’applique. Cherche les prises. J’ai réduit mon champ de vision à une petite zone autour de mes mains et mes pieds. Je suis dans ma bulle. Pourvu que je n’en sorte pas, rien ne m’arrivera.

Ne regarde pas en bas. N’écoute pas ton oreille interne. Assieds-toi sur la dalle en califourchon et glisse en avant. Ne regarde pas en bas. Descende dans la crevasse et hisse-toi à l’autre côté pour en sortir.

Enfin, nous nous affaissons autour de la croix en aluminium qui garnit le sommet, inspirant profondément, souriant béatement. Maintenant je me permets de regarder autour de moi, de près et de loin.

 

Au sommet de l’Aneto

Au sommet de l’Aneto

 

Pourquoi faire ce genre de choses ? Je sais que j’aurai peur, même si le Pas de Mahomet est plus impressionnant que dangereux, et ce n’est certainement pas la varappe. Pour me shooter d’adrénaline ? Pendant, je le haïe, puis après je veux recommencer.

La descente est une répétition de la montée, mais maintenant je m’y crois. Puis s’ensuit une joyeuse descente faite presque en courant, descendant la pente la plus raide, batifolant dans la neige. Là où la neige s’estompe, révélant la roche mère, on quitte les crampons. De longes enjambées, le bonheur.

Mais, inexplicablement, je commence à trébucher, puis à tomber. Une fois, deux fois. Je sors mon bâton. Le terrain n’est pas difficile mais je n’arrête pas de tomber. Trois fois, quatre, cinq. On insiste que je prenne un autre bâton et ça marche mieux. Au moment, je l’ai attribué à la fatigue, mais maintenant je suis moins certain…

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