Sur le GR11 espagnol avec Hike Pyrenees

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Dans la vallée du rio Caldarés, au-dessus des Baños de Panticosa

Dans la vallée du rio Caldarés, au-dessus des Baños de Panticosa

Après quinze ans arpentant les Pyrénées tous les quinze jours, je pense savoir ce qui m’attend. Le 22 juin il n’y aura plus de neige en-deçà de 2800m, bien au-dessus des cols que je vais emprunter. Les glaciers seront en train de rétrécir tout en déversant des torrents d’eau sur la plaine. Je me demande si j’aurai vraiment besoin de mon pantalon long. Mais l’hiver centenaire 2012/2013 a tout chamboulé. Je finis par fourrer la doudoune, les gants, les crampons et le piolet dans mon sac déjà trop lourd.

Je me rends compte que je ne sais pas comment m’arrêter en cas de glissade sur la neige. Aussitôt je fais une recherche sur YouTube et commence à m’exercer en cachette dès que ma femme sort de la maison – histoire de ne pas l’inquiéter. D’abord j’étends une serviette duveteuse blanche sur le parquet dans la chambre, me disant que c’est de la neige. Puis je m’allonge sur le dos, la tête du piolet bien tenue dans ma main droite. Je ferme les yeux. Tout d’un coup, je commence à glisser sur une pente glacée. Je saisis l’autre bout du piolet,  plante la lame dans la serviette et bascule sur le ventre, entrainé par mon accélération. Je me lève sur les bras, enfonçant le piolet dans la serviette. En même temps je pose mes genoux sur le plancher. Les pieds et les crampons doivent rester dégagés : faut pas faire des tonneaux. Ça marche, je m’arrête instantanément.

La deuxième phase de ma préparation est moins physique : j’envoie un email à Phil de Hike Pyrenees. Je lis son blog régulièrement et je calcule que je passerai près de chez lui. J’espère qu’il pourra me donner plus d’informations sur les conditions. Il fait encore mieux. Viens nous rejoindre, répond-t-il.

Phil James of Hike Pyrenees

Phil James of Hike Pyrenees

C’est un Phil souriant qui m’attend à Sallent de Gállego, avec quatre autres guides. Il n’y a que cinq autres randonneurs. Normalement il n’y a qu’un guide pour six : je suis rassuré… jusqu’au moment que je commence à me demander pourquoi autant ?

La sortie commence avec des présentations et une photo de groupe sur le pont. Sur l’autre rive se trouve un panneau d’interprétation du gouvernement d’Aragon :

« Les glaciers des Pyrénées constituent des réserves de glace les plus méridionales d’Europe… La singularité et la fragilité de ces petits mais très beaux réduits de froid leur ont donné  un haut intérêt scientifique, environnemental, culturel et paysager. »

Très bien, rien de nouveau. Mais je suis étonné par la phrase qui suit. Il paraît que le gouvernement d’Aragon a trouvé la parade au réchauffement planétaire.

« Les glaciers sont protégés par la loi no. 2/1990 du 21 mars. »

Chemin faisant, à travers une forêt ombragée, Phil nous signale les fleurs : « D’habitude sur cette sortie les participants  ne s’y intéressent pas trop. Mais quand nous faisons quelque chose dans la vallée ils demandent des explications tout le temps. Je suis en train de constituer une plaquette. »

Grassette (Pinguicula vulgaris)

Grassette (Pinguicula vulgaris)

Avec précaution, il nous montre une grassette (Pinguicula vulgaris), une fleur carnivore accrochée à la falaise.

Il est moins timide quand il s’agit d’un cynorrhodon d’églantier. Appelé vulgairement en français le « gratte-cul » car il fournit du poil à gratter, ici il a une autre utilisation. Phil nous explique : « Les espagnols les appellent tapaculos. Ils sont censés guérir la diarrhée. » Les espagnols ont un bon sens de l’humour. Tapa veut dire bouchon. Il n’a pas besoin d’expliquer le mot culo.

Nous, les randonneurs forment un groupe hétérogène. Il y a trois amis sportifs de Guernesey. Claire et Martine ont fait le Kilimandjaro récemment mais leur ami John est plus à l’aise sur une planche à voile ou dans un canoë que sur une montagne. Ils sont suivis par un homme avec un authentique accent écossais qui se dit nouvelle-zélandais et sa femme.

« Je suis parti quand j’avais cinq mois » explique Colin. « J’étais sur le premier bateau qui rapatriait des réfugiés en septembre 1945. J’ai vécu en Ecosse jusqu’à la retraite et puis je suis retourné en Nouvelle Zélande. »

Cela lui donne neuf ans de plus que moi, et cela à un âge où les années commencent à compter. D’habitude il fait des balades avec sa femme sur les terres spongieuses des Terres du Milieu sur l’île du Nord. Ça va être un défi, dit-il.

Arkaitz devant  le refuge de Respomuso. Le Col de Tebarray est le col le plus bas au fond.

Arkaitz devant le refuge de Respomuso. Le Col de Tebarray est le col le plus bas au fond.

Avant d’arriver au refuge de Respomuso nous avons déjà traversé plusieurs névés. En dépit d’un soleil de plomb et de la date avancée – le 24 juin, officiellement l’été – nous rencontrons deux skieurs qui viennent d’arriver. Je pensais que le problème principal serait les distances excessives entre les refuges et le dénivelé, pas la neige. Maintenant je me rappelle que mon kiné m’a raconté le triste sort d’une femme qui est morte récemment après une chute de 300m. Elle a été dévorée par les vautours avant que les secours puissent récupérer son dépouille.

Je demande à Arkaitz, un des guides, ce que nous attend.

« Non, ce n’est pas plus difficile. Il faut simplement s’adapter » prétend-il.

« Quand tu fais ton brevet de guide » rajoute Hannah « ils regardent comment tu gères la situation. Tu peux pas dire ‘Je l’ai fait comme ça la dernière fois, je vais le faire de la même façon’. »

Je demande : « Normalement il y aurait combien de guides ? »

« Que moi » répond-t-elle, allègrement « et Arkaitz quand il y a de la neige. »

Les autres sont venus reconnaître la route ou en stage. Phil, je pense, est là principalement parce qu’il m’a invité. Il ébauche son passé dans le scoutisme, où il a fait son premier brevet de guide de montagne.

Il a créé Hike Pyrenees (Rando-Pyrénées) en 2008 avec sa femme Anna. Ils voulaient vivre dans les Pyrénées au lieu de Londres.

« J’ai mis le site en ligne et quelqu’un a appelé le même jour. Je n’étais pas du tout prêt et j’ai dû me débrouiller pour faire la réservation. »

C’est de l’histoire ancienne. Cette semaine ils ont quarante clients éparpillés dans les montagnes.

Les autres partent pour l’après-midi, une rando de quatre heures vers un lac d’altitude et apprennent comment maîtriser une glissade. Je reste autour du refuge : je suis toujours fatigué de la veille et je veux conserver mes forces.

Marmotte traversant un lac gelé

Marmotte traversant un lac gelé

Ils reviennent un peu avant le repas du soir. À table nous apprenons plus sur nos guides. Arkaitz travaille beaucoup en Antarctique, assurant la sécurité des scientifiques quand ils s’aventurent faire des recherche hors-station. Claire lui demande ce qu’il fait pour ses vacances à lui.

« Je voyage à travers le monde. »

Interrogé de plus près, il admet qu’il cherche une falaise, la grimpe, et revient. À ses heures il fait aussi des concours d’escalade. On a le choix de plusieurs voies, nous explique-t-il, et chaque voie vaut un certain nombre de points. Vous faites autant que vous pouvez dans un certain délai et au final l’équipe avec le plus de points gagne.

« T’es fou » dit Claire.

Il est peut-être fou, mais il est certainement modeste quand il s’agit de parler de ses compétences, tout comme les autres guides. Néanmoins je me rends vite compte qu’ils sont tous sérieusement surqualifiés pour notre sortie.

Au salon du refuge de Respomuso

Au salon du refuge de Respomuso

Le lendemain matin Colin descend au petit-déjeuner visiblement dans un état de confusion. Il porte un legging bleu vif, à mon avis emprunté de sa femme, sous un short beige, avec un tee-shirt bordeaux. Son tenu vestimentaire est la seule chose éclatante. Il a l’air morose, ses yeux à moitié fermés.

« J’ai passé une nuit blanche. Je n’ai jamais dormi aussi mal de ma vie » confirme-t-il. « Je suis extenué. Mais si je ne le fais maintenant je ne le ferai jamais. »

Il suit mon regard.

« Je n’ai pas apporté un pantalon long » sourit-il.

Nous chaussons nos crampons en face du refuge et les gardent jusqu’à apercevoir le nouveau refuge de Bachimaña, huit heures plus tard. La montée au Col de Tebarray est fatigant, même là où on peut suivre les pas dans la neige. La neige est glacée et les crampons n’y tiennent pas bien. Par contre, être encordé me fait du bien, enlevant l’angoisse. Au début Colin patauge, puis il retrouve son souffle, de je ne sais pas où. C’est un héros.

Au col Hannah me demande : « Est-ce que tu l’aurais fait seul ? »

« Non » je réponds, pensant que le lendemain je serai seul. Je rajoute : « Pourvu que mon genou tient le coup… » déjà préparant mentalement les prétextes que je peux invoquer, au cas où.

Vers le col de Tebarray

Vers le col de Tebarray

Mais après le col dans la descente on gambade dans la neige, contournant des lacs turquoises encore assiégés par la banquise. La neige est molasse, quasi fondante. On batifole. Nous sommes six randonneurs arrimés aux guides deux par deux. L’image des bateaux tirés par un Gulliver échoué sur la montagne me vient à l’esprit.

Je suis rassuré. Je commence à penser positivement à mon itinéraire hivernal inattendu. Entre les moments d’angoisse il pourrait y avoir de la rigolade !

Ibón de Tebarray (2680m), encore gelé au 25 juin

Ibón de Tebarray (2680m), encore gelé au 25 juin

Je réfléchis sur la possibilité d’emprunter une autre route à travers les collines de piedmont sans neige mais décide finalement de continuer sur la route officielle du GR11. Entretemps les autres poursuivent avec la conquête du Mont Perdu, le deuxième sommet des Pyrénées.

Un grand merci à tout le monde, surtout à Colin qui m’a inspiré avec sa calme détermination.

Le lendemain : vue depuis la pente au-dessus du barrage de Brazato

Le lendemain : vue depuis la pente au-dessus du barrage de Brazato

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