Le Puig Neulós, une montagne bien-aimée

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Bief de moulin

Bief de moulin

 

Le Puig Neulós est sans grand intérêt. Du moins c’est ce que je pensais jusqu’à récemment. Malgré un sommet qui s’élève à 1256m je l’ai toujours pris pour un petit monticule vert, dominé par son grand frère Canigou, deux fois et demie plus haut. La montée depuis la plaine Perpignanaise est très ordinaire, facile même. Pire, en arrivant au sommet vous êtes accueilli par des voitures et une route goudronnée.

Mais cette année je l’ai déjà fait deux fois. J’ai découvert non seulement des profondeurs insoupçonnées, mais aussi un conte dissimulé. Les profondeurs se trouvent dans un pou de neu. Le conte, par contre, est distribué entre plusieurs endroits, quoique bien visible. (Tout est caché pour celui qui ne sait pas regarder ; on vient de m’ouvrir les yeux.) Le conte est une histoire d’amour, l’amour d’un berger pour la montagne où broutaient ses brebis. Manel était pauvre et analphabète, mais il nous a légué un héritage remarquable.

He vist la Torre d’en Manel,
Dirien que toca el cel :
La broma li sert de trona,
i lo llucet de corona.
J’ai vu la tour de Manel ;
on dirait qu’elle touche le ciel :
le brouillard lui sert de trône
et l’éclair de couronne.

Extrait de ‘L’hirondelle de Saint Martin’ – version catalaneversion française

Manel dicta ces lignes dans un poème qu’il dédia au Puig Neulós, vers la fin de sa longue vie. Et son legs n’est pas la seule trace du passé sur cette boucle : on y retrouve aussi un moulin, une sépulture préhistorique, le pou de neu, une crête frontalière avec vus sur la Méditerranée et un chalet-refuge bien placé.

Le Puig Neulós est une montagne pour l’hiver. À seulement dix kilomètres de la mer, la neige y est rare. Et malgré un nom qui veut dire ‘nébuleux’, il baigne souvent sous un soleil méditerranéen. L’été venu, on y crève de chaleur.

La voie normale commence dans le coquet village de Laroque-des-Albères. On met cap au sud montant la vallée. Déjà au mois de février on est accueilli par le jaune des mimosas. Au mois de mars le sentier sera parsemé de pétales tombés des amandiers. Juste au-dessus du village un vieux moulin est en cours de restauration ; en amont le chemin suit un ancien bief, reconverti pour l’irrigation de jardins potagers.

 

Le Moulin de la Pave. À l’époque il y avait quatre moulins sur ce torrent. Le premier moulin ici fut construit au quatorzième siècle.

Le Moulin de la Pave. À l’époque il y avait quatre moulins sur ce torrent. Le premier moulin ici fut construit au quatorzième siècle.

 

Au début, le paysage est dominé par le chêne-liège et le chêne vert, essences colonisatrices qui reprennent le relais après la destruction due aux charbonniers du dix-neuvième siècle. Bientôt un panneau montre une déviation vers une clairière et un dolmen au nom improbable : la Balma del Moro (l’abri du Maure) . Plus récemment le tombeau a été encore annexé, cette fois sous l’enseigne ‘Aum siva’ accompagné des symboles hindous.

 

Balma del Moro

Balma del Moro

 

Une nouvelle attribution pour le dolmen

Une nouvelle attribution pour le dolmen

Le chemin remonte. Lors de ma dernière visite au mois de février, malgré les perce-neiges déjà en fleurs, les feuilles des hêtres gisaient encore sur le chemin : des congères dorées, destinées à des coups de pied joyeux.

 

La tour de Manel près du sommet du Puig Neulós

La tour de Manel près du sommet du Puig Neulós

Le sommet lui-même est orné par la tour reconstruite de Manel, mais disgracié par l’antenne télé qui lui a ravi son socle. Il vaut mieux regarder autour : au long arc sablonneux de la Méditerranée au nord ; à la côte vermeille, rocheuse, qui enjambe la frontière ; à la Tour de Madeloc, relique de la guéguerre entre la France et l’Espagne ; au Canigou, blanc du mois de novembre au mois de mai.

 

Canigou vu du Pic Neulós

Canigou vu du Pic Neulós

 

On traverse ce qui reste des pâturages de Manel drapés sur la crête, divisés maintenant entre la France et l’Espagne par un fil barbelé rouillé.

Un kilomètre plus loin et cinquante mètres en contrebas sur le talus espagnol, j’ai fini par retrouver les profondeurs cachés de la montagne, signalés par un dôme de pierre au milieu de la forêt. Quelques mètres plus loin, ce qui a l’air d’un petit cabanon s’avère être l’entrée d’un tunnel qui mène à une chambre circulaire, sous le dôme.

Il est rare de voir la neige au-dessous de 1500m, ce qui rend ce pou de neu (puits de neige) encore plus mystérieux. La neige était versée dans le puits en hiver pour être extraite du bas en été. Pas mal ce frigo en parfait état de marche après 400 ans. (Attention : la carte GPS TopoEspaña 3.0 localise le puits de neige quelques 70m de son emplacement véritable. La façon la plus facile de le trouver est de suivre le fil barbelé qui marque la frontière jusqu’à un poteau indicateur.)

 

Coupe du pou de neu

Coupe du pou de neu


Dans le pou de neu (puits de neige)

Dans le pou de neu (puits de neige)

 

Chalet-refuge des Albères

Chalet-refuge des Albères

 

Empruntant maintenant le GR10 avec ses balises rouge et blanc, notre sentier descend entre pins noirs au chalet-refuge des Albères (sur réservation en hiver) et puis prend la route pour quelques deux cents mètres jusqu’à une source décorée. Ceci est aussi l’œuvre de Manel.

 

La Reynes de las founs (la Reine des sources)

La Reynes de las founs (la Reine des sources)

 

Manel, poète des Albères

La Reynes de la founs (la Reine des sources) ou du moins son aménagement, est daté 1881 et signé ‘M’. Des fois Manel signa ses œuvres avec un pictogramme du lac Léman, une anagramme de son surnom mais pour les autorités il était Joseph Pierre François Coste, né le jour de Noel, 1822. On suppose que Manel vient d’Emmanuel du fait qu’il est né le jour de Noel. Il vit s’écouler le dix-neuvième siècle pour s’éteindre finalement en 1911.

Le détail le plus parlant de la décoration est un cœur fait de morceaux de pierre bleu avec un seul fragment de marbre rouge au centre. L’inscription nous renseigne : son cœur était voué à la forêt de Laroque.

 

Pour l’amour d’une montagne

Pour l’amour d’une montagne

 

Une autre inscription est plus énigmatique : les douaniers ici trouvent souvent ce qu’ils y cherchent.

 

Inscription à la source près du Chalet-refuge des Albères

Inscription à la source près du Chalet-refuge des Albères

 

Manel était poète sans plume. Préférant la pierre au papier, il demandait aux amis de tracer les lettres souhaitées sur les pierres qu’il avait préparées. Puis il se mit au ciseau pour devenir immortel. Il utilisait un autre support : le bois. Un peu plus haut dans la forêt on trouve un vénérable séquoia qu’il a planté. Et d’autres pierres et arbres se trouvent toujours dans le massif.

Manel, pour moi, est un Henry Russell en guise de berger. Tous les deux aimaient leur montagne quoiqu’un monde les sépare socialement. Pour l’illustre Comte Henry Russell, la montagne était le Vignemale. Dans la Gazette de Cauterets il écrivit : « Le Vignemale, c’est ma femme et mes sept grottes sont nos enfants. »

 

Sur le Vignemale (3298m)

Sur le Vignemale (3298m)

 

Statue d’Henry Russell-Killough à Gavarnie

Statue d’Henry Russell-Killough à Gavarnie

Un des pionniers des Pyrénées, l’histoire de Russell est bien connue. Il acheta la concession du Vignemale de l’État pour 99 ans, et y fit creuser ces grottes. Manel, par contre, allait voir l’État lui confisquer son domaine, lui interdisant même d’arracher les mauvaises herbes autour de sa Reine, avant de finalement se réviser et de décorer le berger avec la médaille d’or des vieux serviteurs.

Je ne pense pas qu’ils se soient rencontrés – Russell dédaigna les Albères – mais ils étaient des âmes  sœurs. Ils furent tous les deux honorés par une notice nécrologique dans le Bulletin du Club Alpin Français.

Plus sur Manel.

***

Le retour traverse une châtaigneraie avant de rejoindre le bief du moulin. Sur le chemin vous trouverez un autre puits de neige, mais moins bien conservé.

En tout il y en a pour environ sept heures de marche, avec 1200m de dénivelé positif, une journée exceptionnelle pour découvrir l’histoire des Albères. En hiver dans les Pyrénées il n’y en a pas mieux – à moins de sortir les raquettes.

***

 

Le circuit est disponible sur Wikiloc.

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