Faites entrer les dragons !

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Feral: Rewilding the land, sea and human life
[Devenu sauvage : l réensauvagement de la terre, de la mer et de la vie]
par George Monbiot

Feral par George Monbiot

Feral par George Monbiot

Sur les cartes britanniques anciennes la zone entre le monde connu et terra incognita était souvent garnie de dragons. On n’en savait pas beaucoup, mais on savait que c’était dangereux. C’est là où Monbiot a élu résidence.

Dans son livre Feral, George Monbiot nous invite dans un étrange pays habité par l’ours, le loup, l’éléphant, le lion et bien d’autres fauves.  Son discours surfe entre sa vie personnelle et l’avenir de la planète sur une vague parfois optimiste, parfois désespérée. On le retrouve sur la crête des vagues dans son kayak ou bien pataugeant métaphoriquement  dans les creux, là où les dragueurs ont détruit les fonds dans leur quête aux coquilles Saint-Jacques.

C’est un voyage troublant dans un livre bien ficelé, plein de perspicacité, même si quelques-unes des propositions relèvent de la fantaisie.

Remonter le temps

La conservation, dit-il, ne suffit pas : il faut remonter le temps, organiser le réensauvagement, créer des zones où la nature peut trouver sa voie. Des plantes (surtout les arbres), des poissons, des oiseaux et des animaux seraient réintroduits. La grande question : quelles espèces ont droit de résidence dans le paysage britannique surpeuplé ? (Je dis ‘britannique’ mais Monbiot vise plutôt le Pays de Galles et l’Écosse.) Sa liste comprend, entre autres, le sanglier, l’ours, le loup, le lynx, le lion et l’éléphant, tous ayant vécu en Grande Bretagne dans le passé. Il veut aménager les cascades trophiques (où les grandes animaux mangent les petits) – soutenant la thèse que la réintroduction de grands prédateurs est la meilleure façon de soigner un monde naturel déséquilibré. Notre idée de la nature, poursuit-il, est informée par ce que nous avons vu en tant qu’enfant. Mais chaque nouvelle génération apporte une nouvelle dégradation. Le point de repère n’est pas fixe, il se décale. L’état ‘naturel’ de la prochaine génération est moins authentique que celui de la précédente. Un réensauvagement programmé inverserait la tendance.

Il considère chaque espèce sur sa liste, lui octroyant un chiffre sur une échelle allant d’un à dix. À en croire Monbiot, le sanglier (10/10) est très apte à la réintroduction en Grande Bretagne et va pas provoquer un lever de boucliers. Le lion, par contre, est évalué à un sur dix. Monbiot n’est pas trop optimiste sur son accueil dans les banlieues.

Brebis

Par contre il voudrait voir moins d’une espèce qui vit en Grande Bretagne depuis 6 000 ans: la brebis. ‘J’ai une obsession malsaine avec les brebis. Elles encombrent mes journées et hantent mes rêves. Je les déteste.’

 

Des brebis ; Monbiot les déteste

Des brebis ; Monbiot les déteste

 

Il explique qu’il ne déteste pas les animaux en tant que tels, seulement leurs effets sur notre environnement et sur notre histoire. Dès 1516 Sir Thomas Moore se plaignait :

‘Les brebis, censées être humbles et dociles, et peu gourmandes, maintenant j’ai entendu dire, sont devenues si insatiables et si sauvages qu’elles mangent et avalent l’homme lui-même. Elles mangent, détruisent et dévorent des champs, des maisons et des villes entiers.’ Source

Pour Monbiot le Cambrian Desert, une zone sans arbres dans la montagne galloise, est l’exemple type du naufrage. L’uniformité abrutissante l’insuffle avec ‘un ennui écologique’.

‘L’élevage de brebis dans ce pays est un désastre écologique à combustion lente, qui a fait plus de dégâts aux structures vivantes de ce pays que le changement climatique ou la pollution industriel.’

Les contre-arguments d’un éleveur

Il va voir un éleveur gallois de brebis, Dafydd Morris-Jones, dans sa maison dans les Cambrian Mountains où sa famille a vécu depuis 1885. C’est tout au crédit de Monbiot qu’il reproduit les contre-arguments de l’éleveur :

‘La conservation devrait plancher sur comment nous pouvons vivre dans la nature. Quand elle s’éloigne de ça tu oublies que tu regardes toujours d’un point de vue humain. Je pense que le réensauvagement est un oxymoron. Comme l’a déjà dit William Cronon, même si tu propose le réensauvagement pour lui-même, tu imposes toujours  le regard humain.’

‘Avec le réensauvagement extensif on perd son histoire orale, son idée de soi et ses racines. C’est comme un autodafé. Il n’y a pas de livres sur les gens comme nous. Si l’on fait disparaître le témoignage de notre présence sur le terrain, si l’on déstabilise les principales sources de revenus qui soutiennent la population dans le cœur de l’aire du parler gallois, on efface notre histoire. Nous n’avons rien d’autre.’

La quadrature du cercle

C’est un dilemme pour Monbiot. Il insiste que le réensauvagement doit avoir le consentement des personnes les plus concernées. Mais est-ce qu’il est possible d’avoir le réensauvagement sans détruire la culture traditionnelle ? Surtout quand on se rend compte que les régions où les derniers éléments d’authentique culture paysanne subsistent sont également les régions les plus adaptées au réensauvagement.

Sa réponse est de convertir les éleveurs en animateurs de parcs naturels !

‘On pourrait envisager une communauté prospère d’anciens éleveurs devenus animateurs et guides, faisant chambres d’hôte, la vente directe à la ferme, le ball-trap, la location de vélo, l’équitation, des lacs pour la pêche, la fauconnerie, le tir à l’arc et tous les autres services qui soutiennent actuellement les communautés rurales.’

Comment peut-il croire que le ball-trap puisse remplacer les brebis dans le cœur des éleveurs sans détruire les traditions qui leur sont chères ? Comment peut-il croire que les touristes puissent dépenser suffisamment d’argent sans compromettre le réensauvagement ? C’est le point faible du livre.

Dans cette optique, est-ce que le réensauvagement est vraiment envisageable ? Ici dans les Pyrénées toute tentative de réintroduire ou renforcer les effectifs des ours, des loups ou des vautours (pour ne citer que trois des espèces actuellement bien en vue) sont fortement rejetés par un important secteur de la communauté paysanne. À mon sens le réensauvagement ne va pas recevoir l’aval des éleveurs, sauf – peut-être – sur les montagnes complètement abandonnées où les animaux sauvages sont tenus à l’écart des animaux d’élevage. Mais ça ne veut pas dire que l’idée est sans intérêt en théorie si les conditions pour l’implémentation peuvent être réunies.

 

Les Pyrénées : pas si sauvage que ça

Les Pyrénées : pas si sauvage que ça

 

Plus sur le le réensauvagement et les Pyrénées

Le réensauvagement personnel

Le deuxième thème de Feral est le réensauvagement personnel. Monbiot veut positiver. Les écolos, il raconte, disent souvent non, faut pas faire, etc. Pour contrer cette vision négative de l’écologie il nous propose les réjouissances de notre ‘fauve intérieure’. Les récits saisissants de sa découverte de sa ‘fauve intérieure’, quoique un peu style journalisme « gonzo », rajoutent une touche personnelle.

Il décrit son séjour de jeune homme avec le Masaï :

‘Pour eux le danger était une friandise, à débusquer et savourer. Ils étaient volatiles, passionnés, fougueux, ouverts à tout.’

Nous apprenons les détails de leurs expéditions de vol de bétail. Nous apprenons comment ils tuent un lion, le  coinçant, l’attrapant par la queue puis le transperçant avec une lance. Il témoigne du sacrifice rituel d’un bœuf par suffocation. Il ressent une affinité, mais finalement ne peut pas tenir le coup et revient à la maison.

Plus tard, au Pays de Galles, il essaie de retrouver quelque chose des quatre-cents coups de sa jeunesse. Il part au large dans son kayak et mange le maquereau  qu’il attrape, cru. Il part dans la recherche invraisemblable du thon albacore  et relate comment il a failli se noyer. Il est atteint de ‘l’ennui écologique’ ; son remède est de risquer sa peau !

Il signale la fascination britannique pour Raoul Moat, un tueur en série sans scrupule qui évada la police pendant une semaine en 2010. Une page Facebook intitulé Repose en Paix Raoul Moat a attiré plus de 30 000 « j’aime ». Pourquoi était-il adulé par certains ?

Tirant des conclusions de ces vignettes et d’autres encore, Monbiot insinue que nous souffrons d’un manque d’aventure dans notre quotidien.

Faites entrer les dragons !

P.S. Je me demande quel serait son avis sur la tauromachie ?

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2 Responses to “Faites entrer les dragons !”

  1. […] viens de lire Feral [Devenu sauvage] de George Monbiot. Il revendique le rewilding, le réensauvagement de la planète : la mer, le ciel, la terre et les […]

  2. […] fort au propos de George Monbiot étalés dans Feral : Rewilding the land, sea and human life [Devenu sauvage : le réensauvagement de la terre, de la mer et de la vie]. Tandis que Monbiot fustige les brebis dans le centre du Pays de Galles où, selon lui, elles ont […]

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