Est-ce que vous préférez aller directement au but ou tourner en rond ? Quoique la première option ait ses avantages, tourner en rond peut aussi avoir des atouts.
Jusqu’à récemment, la plupart des sentiers de Grande Randonnée dans les Pyrénées encourageait nous les marcheurs à aller directement au but, la Méditerranée. En tout cas, cela est le but de la Traversée des Pyrénées (GR10), la Senda Pirenaica (GR11 espagnol) et la Haute Randonnée Pyrénéenne qui existent depuis plus de trente ans déjà. On peut y rajouter le Sentier Cathare, le Chemin des Bonshommes (GR107) entre autres nés récemment. Tous allant de A à B.
Mais si vous vouliez tourner en rond, ou plutôt faire une boucle pour finir à votre point de départ il fallait se débrouiller seul. Ces dernières années cela a commencé à changer. Il faut signaler le topo-guide de la FFRP de boucles qui traversent la frontière entre l’Ariège et la Catalogne. Mais peut-être les initiatives les plus intéressantes sont celles de nos voisins d’outre-Pyrénées.
Ces randonnées de montagne sont toutes des boucles avec nuitées en refuge gardé. En plus, le central de réservations organise tout. Il y a des cartes 1:25.000 et un teeshirt souvenir.
Je reviens du Sentier de Camille que j’ai fait avec deux copines du Club Rando-Montagne de la MJC de Lézignan-Corbières. On s’est bien amusés.
Mon sentier de Camille. Cliquer pour voir sur Wikiloc
Ubi pecora, ibi vultures, «là où il y a des brebis, il y a des vautours». Entendre : « là où il y a de la richesse, il y a des voleurs ». Ce proverbe latin a peut-être conditionné notre perception des vautours depuis des millénaires. Injustement. Surtout dans le cas du gypaète barbu qui fournit gratuitement un service d’équarrissage. (suite…)
Les Pyrénées ne sont pas figées dans le temps tel une vieille carte postale. Voici un troisième article sur les nouvelles Pyrénées.
Rhododendrons et genêts dans la vallée de la Grava sur le GR10
En plus des réintroductions, ce siècle verra d’énormes changements dans la nature. Le piedmont se referme avec les pâturages délaissés envahis par des rhododendrons, des genêts et des arbustes. Ils auront beau avoir une jolie mine ; c’est toutefois le début de la décadence. Plus haut la pourriture est aussi visible. (suite…)
On signale des événements étranges dans les Pyrénées centrales, dans un triangle entre Cauterets et Ustou (Ariège) et Torla (Huesca) en Espagne. Le bouquetin des Pyrénées revient d’outre-tombe.
C’est une longue histoire. Déjà en 1825 le bouquetin (bucardo en espagnol) était donné pour éteint. Mais en fait il survivrait jusqu’au 6 janvier 2000 pour devenir la première disparition mondiale du 21eme siècle. Malgré cela, en 2009 un nouveau bouquetin de Pyrénées est né et maintenant on peut compter une trentaine broutant paisiblement dans les Pyrénées françaises. C’est quoi, cette histoire ?
En ce qui concerne l’extinction, les trois cavaliers de l’apocalypse étaient la chasse, la consanguinité, et la perte d’habitat.
GR 11 : prairies fleuries au-dessus d’Estos ; au fond le massif de la Maladeta
Je les ai traversées deux fois maintenant, les Pyrénées, de l’Atlantique à la Méditerranée. D’abord côté nord, chez nous, puis au sud. J’ai écrit un premier livre sur mes expériences sur le GR 10 (Les Pyrénées tout en marchant, chez Cairn). Et maintenant j’essaie de rassembler mes pensées sur le GR 11 ibérique. Alors, où est l’herbe la plus verte ? GR10 ou GR11?
Dans la vallée du rio Caldarés, au-dessus des Baños de Panticosa
Après quinze ans arpentant les Pyrénées tous les quinze jours, je pense savoir ce qui m’attend. Le 22 juin il n’y aura plus de neige en-deçà de 2800m, bien au-dessus des cols que je vais emprunter. Les glaciers seront en train de rétrécir tout en déversant des torrents d’eau sur la plaine. Je me demande si j’aurai vraiment besoin de mon pantalon long. Mais l’hiver centenaire 2012/2013 a tout chamboulé. Je finis par fourrer la doudoune, les gants, les crampons et le piolet dans mon sac déjà trop lourd.
Je me rends compte que je ne sais pas comment m’arrêter en cas de glissade sur la neige. Aussitôt je fais une recherche sur YouTube et commence à m’exercer en cachette dès que ma femme sort de la maison – histoire de ne pas l’inquiéter. D’abord j’étends une serviette duveteuse blanche sur le parquet dans la chambre, me disant que c’est de la neige. Puis je m’allonge sur le dos, la tête du piolet bien tenue dans ma main droite. Je ferme les yeux. Tout d’un coup, je commence à glisser sur une pente glacée. Je saisis l’autre bout du piolet, plante la lame dans la serviette et bascule sur le ventre, entrainé par mon accélération. Je me lève sur les bras, enfonçant le piolet dans la serviette. En même temps je pose mes genoux sur le plancher. Les pieds et les crampons doivent rester dégagés : faut pas faire des tonneaux. Ça marche, je m’arrête instantanément.
La deuxième phase de ma préparation est moins physique : j’envoie un email à Phil de Hike Pyrenees. Je lis son blog régulièrement et je calcule que je passerai près de chez lui. J’espère qu’il pourra me donner plus d’informations sur les conditions. Il fait encore mieux. Viens nous rejoindre, répond-t-il.
Sur la crête. L’Hospice de France est visible dans la vallée à la limite des nuages
On dort bien. Quittant l’Hospice de France à 8h du matin, nous montons la côte, traversant de prairies bien vertes et luxuriantes. Puis une crête nous mène au Puerto de la Picada là où commence l’Espagne. Par moments le parcours est raide, mais il n’y a pas de passages techniques, aussi fut-il emprunté par des pèlerins, des marchands et des bergers pendant des siècles.
La Rencluse
Depuis le col nous apercevons le panorama du massif de la Maladeta avec sa bavette glacée et le refuge de la Rencluse en contrebas.
Le meilleur point de vue du massif de la Maladeta est ici, côté nord de la vallée. L’Aneto est le pic le plus haut à gauche, le refuge de la Rencluse est juste au-dessus de nos épaules et le Portillon supérior est sur la crête diagonale, légèrement en dessous de la neige.
Nous allons faire l’Aneto, le plus haut sommet des Pyrénées (3404m), mais il y a certaines choses que l’on veut voir avant de se chausser.
Notre premier arrêt se fait à Bagnères de Luchon, au sanctuaire de Pierre Barrau. Ce Luchonnais fut un des premiers guides à risquer les glaciers qui entourent le massif de l’Aneto ; sa mort subite dans le secteur repoussa la conquête du sommet de vingt ans. Par la suite une de ses jambes est devenue un objet de vénération, incontournable.
Barrau mourut en 1824. Il était en train de mener deux clients pour faire la Maladeta quand il tomba dans la rimaye en haut du glacier. Pendant dix minutes il cria : « Je suis perdu, je m’enfonce » avant de disparaître. Très respecté pour ses connaissances en montagne, sa mort choqua dans le coin. Pendant des décennies les habitants indiquaient la montagne du doit, disant : « Il est là, le pauvre Barrau. »
Le miracle qui mena à sa canonisation et à la construction du sanctuaire, c’est qu’il continuait à marcher, même après sa mort, quoique très lentement. Visiblement, il voulait rentrer à tout prix. Après 107 ans il avait progressé quelques 1400m, quand il fut aperçu gisant en bas du glacier. Il fut ramené et enterré, du moins pour la plupart. Son humérus droit apparut trois ans plus tard. Maintenant il gît, à côté d’un de ses crampons, dans une vitrine au musée de Luchon.
C’est ainsi la vie quand on tombe dans une crevasse…
La jambe de Barrau et un crampon (gauche) entourés d’autre matériel de montagne du 19ème
Tout le monde le sait, marcher c’est tomber… mais de façon contrôlée. En apprenant à marcher on apprend à maitriser sa peur de tomber. On a vite oublié les bosses sur la tête et les ecchymoses sur les jambes, mais quelque part dans l’inconscient, cette peur instinctive plane toujours. Je viens de la redécouvrir.
Le vertige
C’est comme si j’étais dans un sèche-linge, mais ce n’est pas moi qui tourne. C’est le monde extérieur qui échappe à tout contrôle. Zut, c’est ça le vertige ?
Je pensais savoir quelque chose sur le vertige. Avoir peur de tomber, c’est logique, raisonnable même. On est au bord d’un précipice. Bien sûr qu’on a peur ! Bien sûr qu’on a la tête qui tournoie ! Mais j’avais tort. Ça, la peur de tomber d’une falaise, c’est une phobie ; ce n’est pas le vertige.
Mais aujourd’hui j’ai le vertige véritable. Horrible. Je suis prêt à vomir. Je ne peux pas bouger. Puis le réveil sonne et je me rends compte que c’était un rêve. Je tourne ma tête pour regarder l’heure, et tout recommence. C’était bien un rêve, mais le rêve est devenu réalité. Hors de question de sortir du lit.
Plus tard, mon médecin me dit que j’ai tous les symptômes de la maladie de Ménière, des cristaux dans mon oreille interne. Il me donne quelques comprimés et me conseille d’utiliser mes yeux pour corriger mon déséquilibre. « Il vous faut réapprendre à marcher, » m’explique-t-il. Une voisine me dit que son mari avait le même problème de temps en temps pendant vingt ans, jusqu’au moment où il est tombé du toit.
Avec toute cette histoire, ça va être comment, l’Aneto ? Une crête en lame de rasoir protège le sommet : Le Pas de Mahomet. Avant, pour dompter ma peur, j’arrivais à me convaincre que mes chaussures étaient collées au sol par d’immenses forces de gravité. Plus maintenant.
La sortie à l’Aneto avec mon club est programmée pour l’été. C’est moi qui l’organise et je ne peux pas décemment désister. En tout cas, une semaine plus tard j’ai l’impression d’être guéri.
Faisons un saut dans le temps
[vidéo d’alpinistes espagnols sur le Pas de Mahomet]
Après un jour et demi de marche assortie de 2500m de dénivelé, on arrive finalement au Pas de Mahomet. Nous desserrons nos crampons et regardons la crête. Je suis déjà venu et j’ai une petite idée de ce qui nous attend, mais tout de même la crête me semble plutôt raide et sérieusement aiguisé.
« Je vais vous prendre par deux, » dit le guide. Je suis encordé avec le plus nerveux de notre équipe, celui le plus apte à faire un faux pas et nous projeter dans le vide. Paradoxalement, c’est la meilleure chose qui puisse m’arriver : en regardant sa démarche maladroite j’ai plus de confiance dans ma propre compétence.
Nous contournons une pyramide. Mes doigts sont en train de picoter. Je m’applique. Cherche les prises. J’ai réduit mon champ de vision à une petite zone autour de mes mains et mes pieds. Je suis dans ma bulle. Pourvu que je n’en sorte pas, rien ne m’arrivera.
Ne regarde pas en bas. N’écoute pas ton oreille interne. Assieds-toi sur la dalle en califourchon et glisse en avant. Ne regarde pas en bas. Descende dans la crevasse et hisse-toi à l’autre côté pour en sortir.
Enfin, nous nous affaissons autour de la croix en aluminium qui garnit le sommet, inspirant profondément, souriant béatement. Maintenant je me permets de regarder autour de moi, de près et de loin.
Au sommet de l’Aneto
Pourquoi faire ce genre de choses ? Je sais que j’aurai peur, même si le Pas de Mahomet est plus impressionnant que dangereux, et ce n’est certainement pas la varappe. Pour me shooter d’adrénaline ? Pendant, je le haïe, puis après je veux recommencer.
La descente est une répétition de la montée, mais maintenant je m’y crois. Puis s’ensuit une joyeuse descente faite presque en courant, descendant la pente la plus raide, batifolant dans la neige. Là où la neige s’estompe, révélant la roche mère, on quitte les crampons. De longes enjambées, le bonheur.
Mais, inexplicablement, je commence à trébucher, puis à tomber. Une fois, deux fois. Je sors mon bâton. Le terrain n’est pas difficile mais je n’arrête pas de tomber. Trois fois, quatre, cinq. On insiste que je prenne un autre bâton et ça marche mieux. Au moment, je l’ai attribué à la fatigue, mais maintenant je suis moins certain…